J’aime l’eau d’une passion désordonnée : la mer, bien que trop grande, trop remuante, impossible à posséder, les rivières si jolies mais qui passent, qui fuient, qui s’en vont, et les marais surtout où palpite toute l’existence inconnue des bêtes aquatiques. Le marais, c’est un monde entier sur la terre, monde différent, qui a sa vie propre, ses habitants sédentaires et ses voyageurs de passage, ses voix, ses bruits et son mystère surtout. Rien n’est plus troublant, plus inquiétant, plus effrayant, parfois, qu’un marécage. Pourquoi cette peur qui plane sur ces plaines basses couvertes d’eau ? Sont-ce les vagues rumeurs des roseaux, les étranges feux follets, le silence profond qui les enveloppe dans les nuits calmes, ou bien les brumes bizarres, qui traînent sur les joncs comme des robes de mortes, ou bien encore l’imperceptible clapotement, si léger, si doux, et plus terrifiant parfois que le canon des hommes ou que le tonnerre du ciel, qui fait ressembler les marais à des pays de rêve, à des pays redoutables cachant un secret inconnaissable et dangereux.
Non. Autre chose s’en dégage, un autre mystère, plus profond, plus grave, flotte dans les brouillards épais, le mystère même de la création peut-être ! Car ce n’est pas dans l’eau stagnante et fangeuse, dans la lourde humidité des terres mouillées sous la chaleur du soleil, que remua, que vibra, que s’ouvrit au jour le premier germe de vie ?
Guy de Maupassant – Amour, trois pages du livre d’un chasseur



L’abécédaire élémentaire par Xavier Guillon
À la lettre M, le Marais.
S’il y a des lieux que j’affectionne particulièrement, ce sont les “marais” ; alors écrire le marais en poésie, j’aurais aimé le faire, mais je ne sais pas bien. Il me revient le début d’un poème du poète contemporain “Cepyge X » qui dit qu’
« À l’abri des regards ; Dissimulé par l’épais feuillage ; D’un taillis de sous-bois ; Se cache un tout petit marais ; Alimenté par une source ; Aux eaux claires et limpides »,
le poème est joli, mais moi, je ne suis pas dans ce marais que je connais, dans ce marais qui sait poursuivre le vent, l’estourbir et peut-être même l’écorcher. Le poète me dit qu’il est tout petit : il s’agit donc d’une mare, d’un tout petit étang… Je ne suis pas plongé ici dans l’indicible ; je n’y entends aucune variation ; pas de chants d’oiseaux qui surprennent le temps ; pas non plus la douceur d’une barque qui glisse dans les herbes trempes. Rien. Même le ciel, dans ce marais-là, n’a pas su profiter. Non vraiment, je ne suis pas, comme il est écrit dans mon dictionnaire, dans un « Terrain, généralement de vaste étendue, recouvert en permanence d’une nappe d’eau peu profonde, où croissent en abondance des plantes aquatiques et parfois des arbres » qui parfois ressemble à un marécage et parfois même à la mer. Et là, rien de plus normal : il en va des origines du mot puisque le terme marais vient directement de l’ancien bas francique “marisk”, qui serait « un terrain marécageux », et que lui-même dérive du germanique “mari-”, «mer ».
Xavier Guillon 11/2019



