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Maria Lai : relier les vivants

« J’ai derrière moi des millénaires de silences, de tentatives de poésie, de pains de fête, de fils, de cadre. »

Maria Lai

«Qu’est-ce que coudre ?»

Maria Lai , pour répondre à cette question, parlait d’exploration : 

«Une aiguille entre et sort de quelque chose, laissant derrière elle un fil, signe de son chemin qui unit lieux et intentions […]. Le fil peut se couper, se retirer et tous les lieux et traces de la pensée redeviennent intacts, confiés à la mémoire – qui est un autre fil, une autre manière de coudre 

Disparue en 2013 à l’âge de 93 ans, Maria Lai laisse une œuvre immense qui, entre précipices et constellations, a su relier les vivants.

« Elle est née en 1920 à Ulassai, un bourg rural d’Ogliastra, perdu dans les montagnes sauvages de l’arrière-pays. Elle a étudié dans une école de peinture et de sculpture à Rome. Pourtant, ce sont les jeux de son enfance qui réveilleront la créativité de Maria Lai. Elle a grandi dans les prairies, évolua parmi les chèvres et les bergers, collecta du bois de chauffe et mangea le pain frais de la ferme. Les compositions de Maria Lai sont un fidèle reflet de cet univers poétique. S’affranchissant de la toile, l’artiste a produit une collection d’œuvres disparates : tableaux, porcelaines, livres cousus, pièces en argile, textiles… »

« Quand au tout début des années 80, la mairie d’Ulassai, son village natal, demande à Maria Lai un monument aux morts, celle-ci répond à l’invitation avec une contre-proposition : créer une œuvre dédiée non pas aux morts mais aux vivants. L’artiste s’empare alors d’une légende locale. Celle d’une enfant chargée d’apporter à manger aux bergers sur la montagne et surprise en chemin par une violente tempête. D’une grotte où elle s’est abritée, la petite fille voit apparaître un ruban céleste. Celui-ci l’attire comme un aimant jusqu’à la faire sortir de son refuge, l’exposer à la pluie, au vent mais aussi la sauver in extremis d’un éboulement. De là, cette proposition : «Relions avec un ruban les maisons les unes aux autres, comme quand on a peur et qu’on se serre la main. Voilà ce que sera l’œuvre.»« 

site Artwork Legarsi alla montagna ou Se lier à la montagne

«Quand Maria Lai fait cette proposition, le maire et les habitants la regardent avec des grands yeux et lui demandent : « Mais où est l’œuvre ? Où est l’art ? »», raconte Davide Mariani, commissaire de l’exposition et directeur de la Stazione dell’arte, à Ulassai, musée d’art contemporain né en 2006 de la généreuse donation (150 œuvres) de l’artiste à sa ville. «Et puis les habitants lui disaient : « Ecoute, Maria, moi je peux me relier à mon voisin de droite mais pas à celui de gauche parce qu’il m’a jeté le mauvais œil ! »» Face à toutes ces objections, Lai repart à Rome mais son idée germe dans le village où quelques-uns mettent au point un code à même d’exprimer les rapports entre les gens : quand entre deux maisons il y a de la rancœur, le ruban passe tout droit ; quand il y a de l’amitié, c’est un nœud qui est fait ; et quand entre deux familles il y a de l’amour, alors y est entrelacé un pain typique préparé pour les fêtes du village.

C’est avec ce code – et 27 kilomètres de tissu bleu ciel – que, le 8 septembre 1981, tous les habitants d’Ulassai, hommes, femmes, enfants et anciens, sortent dans la rue et lient en une heure de temps toutes leurs maisons. Trois alpinistes sont quant à eux chargés de porter le ruban céleste au sommet de la montagne – signe de lien et de paix pour ce paese sur lequel les massifs tombent à pic et qui a, de tout temps, craint les éboulements.

La vidéo de l’événement (aujourd’hui considéré comme le premier épisode d’«art relationnel» en Italie) ainsi que le reportage photographique de Piero Berengo Gardin, paru sous forme de revue, sont visibles à l’Institut culturel italien à Paris. Eux seuls valent déjà le déplacement jusqu’à ce très bel hôtel particulier de la rive gauche sur lequel a été hissée une reproduction du grand tableau de Maria Lai L’arte ci prende per mano («L’art nous prend par la main»). «Cette phrase apparemment simple renferme toute la profondeur de la pensée d’une grande artiste qui a toujours été très attentive à la participation, à l’implication du public», précise Davide Mariani.

Aujourd’hui à Ulassai le lavoir municipal est dédié à Maria Lai … A suivre…..

Sources :

libération du 26 décembre 2019 : Les fils prodiges de Mariai Lai

https://www.voyagesardaigne.fr/guide-sardaigne/attraction/musee-d-art-dedie-a-maria-lai

http://gaepiccirillo.blogspot.com/2015/03/lavatoio-comunale-maria-lai-con_16.html

http://www.lacritique.org/article-les-voyages-solaires-du-quotidien-tisses-par-maria-lai

le projet RIVIERE DE LAINE s’inscrit dans cet état d’esprit : https://lafabriquepoetique.fr/2021/09/21/riviere-de-laine-a-m-sur-m/

En 1982, à propos de l’intervention historique, Filiberto Menna affirmait:

«(…) Peut-être le grand rêve de l’art moderne de changer la vie s’est-il réalisé, ne serait-ce qu’une seule fois, ici même, dans ce lieu lointain où les noms prestigieux de l’avant-garde artistique ne sont que des noms? Je crois que oui: ici, l’art a réussi là où la religion et la politique n’avaient pas réussi à faire de même. Mais il a fallu la capacité d’écoute de Maria Lai qui a su redonner la parole à tout un pays et faire participer à la mémoire et aux fantômes des gens ordinaires, en les aidant à se libérer de la partie destructrice de soi et à s’ouvrir à une nouvelle disponibilité à l’entretien et à la solidarité ».


Images extraites du site ArtWork.com

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