Le chant raisonnable des anges s’élève du navire sauveur : c’est l’amour divin.
Arthur Rimbaud, Mauvais Sang, Une Saison en Enfer

Parfois le pas pressé s’arrête net sur l’ordre du regard lorsque celui-ci capte, ne serait-ce que très furtivement, un indice de beauté, d’étonnement, quelque chose d’insolite, une composante qui fait sens.. En marche rapide, pour ne pas manquer une minute du rendez-vous avec F , je traversais la rue Férou pour rejoindre le Luxembourg, direction rue Soufflot et rue Clovis.
Mais d’abord – comme chaque fois- LE Poème m’entraine à tribord, dans le sillage de son écriture déclinée dans le sens de mes pas..
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Nous ne sommes plus le 9 mars 2021 mais le 30 septembre 1871, lorsque à deux pas de là, au 72 bis rue Bonaparte, dans un café-restaurant disparu aujourd’hui, Arthur Rimbaud déclama pour la première fois Le Bateau ivre, au cours du diner des Vilains Bonhommes.
Le Bateau ivre largue ses voiles aujourd’hui, aussi, sur les murs de la rue Férou.


L’écriture est indélébile, l’oeuvre officielle de 2012 aura pris 10 semaines de calligraphie par l’artiste Jan Willem Bruins, après 9 ans de pourparlers.
Un coup d’oeil- coeur serré- au 2 bis, lieu de l’atelier de Man Ray, disparu lui aussi depuis 1989, les fantômes errent toujours sur le trottoir. Puis je reprends mon pas rapide.
Mais, ce jour là, m’attendait, par ces hasards que j’aime tant, sur le mur des 17-19 de la rue Férou, un dessin à la craie à la signature étoilée particulière et aux traits caractéristiques de la main de Jean Charles de Castelbajac.
Un trait singulier de craie dans lequel je vois Cocteau et Picasso..ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres..



C’est la deuxième fois que j’ai la chance de croiser par hasard ses dessins merveilleusement éphémères.
La première fois c’était en janvier 2020, dans mon port d’attache préféré : à Saint Malo.

Je vous invite à l’occasion de ce passage à voir, revoir et suivre encore l’inventaire merveilleux de Marie-France Dubromel qui, depuis que je l’ai rencontrée m’entraine dans ses déambulations sur le passage des poèmes de craie de JC de Castelbajac, effacés comme souvent par pluies et mairies. C’est ici : MERCERIE AMBULANTE: CASTELBAJAC Anges/graffiti (typepad.com)
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« Au fil des jours, je dessine des anges sur des feuilles blanches, sur des murs qui m’interpellent, plutôt sombres en général. Ce geste de traceur est devenu si naturel, si indispensable que je l’assimile à ma respiration, inspiration…Il y a 20 ans, je dessinais des cadavres exquis avec mes enfants et Keith Haring, ma main était encore empreinte de timidité, aujourd’hui elle est téméraire et libre. J’ai toujours aimé les anges comme j’ai toujours été fasciné par les soldats depuis mon enfance. La force douce et déterminée qu’ils incarnent me bouleverse.
Au fil des villes, au fil des rues, je flâne, Ghost Buster, j’aime capter l’invisible, toucher les murs qui me lient à un Être paru ou disparu, « cristallisation sentimentale » disait Stendhal. Je parlerais de « cristalliser l’invisible ». Cette démarche est bien sûr liée à ma foi, la foi que j’ai dans l’autre, dans la trace, dans l’exemple et dans l’humain. Mon travail est aussi éphémère que nos vies. J’ai photographié mes dessins comme un inventaire utopique de la fragilité de notre passage.«
Jean-Charles de Castelbajac Paris, 12.1.12



Voilà je me suis arrêtée, je prends le temps de regarder cet « ange », ce visage.
Qui est-il ? Il semble regarder vers l’atelier et vers le bateau ivre..
Je m’adresse aux lecteurs de passage…Qui saurait me dire ?
Serait-ce un hommage au mousquetaire Athos ? Personnage réel et imaginaire à la fois qui, sous la plume d’Alexandre Dumas, habite la rue Férou ?
Peut être un tout autre personnage incarné en ange, je ne sais pas et c’est sans doute ce qui est beau …


Mousquetaire aux mains serrées, Picasso , 1967.