
Toute fleur n’est que de la nuit
qui feint de s’être rapprochée
Mais là d’où son parfum s’élève
je ne puis espérer entrer
c’est pourquoi tant il me trouble
et me fait si longtemps veiller devant cette porte fermée
Toute couleur, toute vie naît d’où le regard s’arrête
Ce monde n’est que la crête d’un invisible incendie
Je marche
dans un jardin de braises fraîches
sous leur abri de feuilles
un charbon ardent sur la bouche
(…)
Tout à la fin de la nuit
quand ce souffle s’est élevé
une bougie d’abord
a défailli
Avant les premiers oiseaux
qui peut encore veiller?
Le vent le sait, qui traverse les fleuves
Cette flamme, ou larme inversée : une obole pour le passeur
PHILIPPE JACCOTTET , Oiseaux, fleurs et fruits
Photographie, une porte de Montreuil-sur-mer


Maintenant, c’est la nuit que je travaince. De minuit à cinq du matin. Le mois passé, ma chambre, rue Monsieur-le-Prince, donnait sur un jardin du lycée Saint-Louis. Il y avait des arbres énormes sous ma fenêtre étroite. À trois heures du matin, la bougie pâlit ; tous les oiseaux crient à la fois dans les arbres : c’est fini. Plus de travail. Il me fallait regarder les arbres, le ciel, saisis par cette heure indicible, première du matin. Je voyais les dortoirs du lycée, absolument sourds. Et déjà le bruit saccadé, sonore, délicieux des tombereaux sur les boulevards. — Je fumais ma pipe-marteau, en crachant sur les tuiles, car c’était une mansarde, ma chambre. À cinq heures, je descendais à l’achat de quelque pain ; c’est l’heure.
Arthur Rimbaud, Parmerde, Jumphe 72., lettre à Ernest Delahaye juin 1872